Jamais le réveil n’a sonné aussi tôt! 01:45. C’est une longue journée qui s’annonce. Dure et longue.
02:30 Ouverture du parc , il fait noir, il fait froid surtout. Contraste avec les jours précédents, je me sens calme. Je n’ai pas dormi, mon support non plus du reste.
Les nuits précédentes ont été courtes aussi. Le sentiment qui gouverne cette pré-course, c’est l’Angoisse. Je n’ai jamais ressenti ça auparavant. Je suis pourtant super entouré, épaulé, stimulé, rassuré, par mon support ( Gilles, mon frère) et par ma famille, mon “team” ( Sophie, Tom, Theo, Valérie, Elfie). Pourtant, j’ai peur. De quoi? Je ne sais toujours pas le dire. J’ai froid, j’ai peur et malgré mes supports, je me sens seul.
Vous m’avez tous manqué, amis du TSF.
04:00 embarquement dans cette foutue coque métallique flottante.
Là, je suis vraiment seul. J’ai encore plus froid. L’eau est à 10°c, l’organisation a décidé de réduire la natation à 1900m. C’est en sautant de la plate forme que j’ai réellement compris pourquoi.
Je me range entre les canoës multicolores qui forment la ligne de départ. Je ne sens déjà plus mes pieds, ni mes mains et je me demande comment nager 1900 en crawl polo car il est impossible de mettre de nouveau la tête dans l’eau.
Je me souviens les premiers entraînements swimrun à la base par 7°c…”c’est chaud là quoi , Mitch!!!”
“PAN”- C’est parti. Pas de bagarre, on est moins de 300. Ça part vite mais déjà je n’y arrive pas. Les bras ne tournent pas. La tête, immergée par force de persuasion, est prise dans un étau. Imaginez, les bateaux pris par les glaces au cercle polaire…c’est cette image que j’avais pendant les 1000 premiers mètres. C’est exagéré, j’avoue, mais on en est pas loin! Du cercle polaire!!!
Plus on avance, moins c’est salé, mais plus c’est froid! Les fjords sont alimentés de splendides chutes d’eau gelées,issues des glaciers fondants des plateaux norvégiens.
Sortie d’eau après 35min. Pas terrible, et il faut courir jusqu’au parc. J’ai l’impression de courir sans mes pieds, direct sur les tibias, des moignons quoi.
Paradoxalement, l’air ambiant est doux! Tout est relatif: 10°c aussi.
J’hésite à mettre le singlet ! Aller, plutôt cuissard, seconde peau, maillot, manchettes et gilet fluo (obligatoire).
“Je vais me rechauffer”…dans la montée vers Dyranut, je vais me réchauffer!!!
C’est un peu vrai, même si je ne sens toujours pas mes pieds.
40 kil de solitude (les voitures suiveuses n’ayant pas accès) pendant lesquels je me fais doubler encore et encore . Pas grave, je me dis, ça va le faire…
Je retrouve enfin ma “Dream Team”! Ici, c’est tout blanc! Neige à gogo tout autour de moi. 6°c. J’enfile vite fait ma thermique (suggestion à notre Président: c’est pas une thermique… ). Gilles me dit de mettre d’autres vêtements, bonnet, couches supplémentaires, sur-chaussures…je n’entends rien, j’ai assez perdu de temps comme ça!!! Je dis non. ERREUR!, grave erreur, 20kil plus loin, je suis transi, je tremble de partout, un vrai glaçon. J’ai peine à m’arrêter. Ils s’y mettent à 6 pour me changer…bouillotte d’eau chaude dans le dos, sous casque , sous gants, thé chaud, 2 couches supplémentaires, genouillères, chaufferettes dans les chaussures, Elfie et Valérie me frictionnent les jambes avec leurs gants chauds…un vrai arrêt au stand de formule1, on change tout…mais pas en 8″ pour moi, j’ai dû perdre plus de 100 places et beaucoup de plumes ( calories) , je ne m’en rendrai compte que beaucoup plus tard.
Encore 4 petits cols à monter puis une longue descente vers T2.
J’ai repris quelques places, mais le couperet tombe à la sortie de T2: 180éme place.
Seuls les 160 premiers toucheront le Graal, le précieux black-shirt. Tout s’effondre, je sais à cet instant que ce n’est plus réalisable! J’étais tellement sûr! Le black-shirt n’était pas une “option” pour moi!
Il ne faut jamais être sûr. C’est de la prétention.
Il faut y aller, de toute façon, il faut y aller. Les jambes ne sont pas en bon état mais je dois faire ce marathon.
Km2…j’ai croqué 3 places…arrêt subit: crampe aux ischios…je bois, je repars plus trankilou mais au bout de 8kms , seulement 4 places de gagnées.
Avant le km32,5, il faut gagner 20 places. Mathématiquement, c’est mort, foutu.
Laisse le cerveau par terre! Écoute ton support, écoute tes enfants, ils te poussent, ils te portent…il n’y a pas à réfléchir, “cours Forest, cours”!!!
Le team est omniprésent, super présent, ultra présent…ta femme, tes enfants, ton frère, Valérie, Elfie…c’est juste incroyable, du bonheur profond enrobé de douleur, que c’est bon!
Je retrouve mes jambes, je grignote des places. C’est une hécatombe, des concurrents s’arrêtent, certains repartent, d’autres non. Il m’en faut 20. Je compte, 11, 12, 13, 14,…17, …les jambes deviennent dures, je réduis l’allure 5’15/ kilo c’est mieux…puis 5’30 Aïe…ça pique sérieux. Au 20ème kilomètre le Gaustattopen (arrivée) dévoile sa silhouette. Il est beau, mais bigre qu’il est haut et loin!
Le 18ème que je reprend, c’est Jeffrey (USA), il boîte, j’hallucine pas, il a une prothèse jambière. Il s’accroche à moi, se colle dans ma foulée. Une vision d’horreur m’envahit : et si on reste comme ça pour la dernière place???
Gilles court à côté de moi, je ne peux pas parler fort. Tout bas, je passe commande et lui organise mes souhaits ( te marre pas JM, toi qui a réussi avec ta seule Delphine! J’ai honte). 100m plus loin, Valérie me tend un bidon d’eau, Sophie un bidon d’énergie, Theo une poignée d’abricots secs, Elfie, des Tucs, et Tom des encouragements plus que nourrissants. Photos, applaudissements, encouragements, il ne manque rien, ils sont tous à fond, il ne me manque rien.
Si, des jambes.
J’arrive au 25eme kilo, Tom est déjà en tenue, il a prévu de courir les 17 derniers kms avec moi. “Courir”? Nous ne ferons pas une foulée ensemble.
Arrêt pipi. Ça tourne, les jambes m’abandonnent, Jeffrey s’envole, “enjoy cowboy”, tu as toute mon admiration.
“Aller papa! C’est pas fini! Il faut y aller!!”, Tom essaye de me remettre en selle…
Ce dresse face à nous une putain de cote à 7% qui durera 7,5kms pour arriver au Check point séparatif : black or white.
Tout le monde marche, plus personne ne court, mais moi je marche plus lentement que les autres. Il n’y a plus rien en stock, plus d’énergie, rien. Nous sommes seuls avec Tom car la voiture est obligée de monter jusqu’au Check point. Pas de stationnement possible.
Nous ne sommes pas seuls. Tom est seul, je n’existe déjà plus. Il m’encourage, me parle, me pousse même jusqu’à ce qu’un Marshall s’arrête à nos côté: “don’t Touch him! Anyway!!!!”
Il m’aurait porté jusque là haut je suis sûr…
Un à un les concurrents me passent. Certains que j’avais doublé, mais d’autres aussi que je n’avais pas encore vu. Gilles nous rejoint, puis Théo et Elfie, pour me stimuler encore et encore mais rien n’y fera. Je suis juste E.P.U.I.S.É.
32,5kms: accueil sympa par les juges, félicitations…mais”pour vous Monsieur, ce sera à gauche now!!!”
Mais moi, je voulais aller tout droit!
Honnêtement, je crois que même si j’avais été en 160eme position, je n’aurai pas pu monter la haut.
C’était fini, je m’appuie sur la voiture, Gilles me dit: c’est toi qui dit si tu peux finir!
Je ne sais plus. A quoi bon?! Oui, il faut toujours finir. Mais là, je crois déjà avoir sorti au moins 20% supplémentaire de ce que j’étais capable, et ça, grâce à eux, Gilles, Sophie, Tom, Theo, Valérie, Elfie. J’aurai tant aimé finir, ne serait-ce que pour eux! Ils ont tant donné. Je m’effondre dans la voiture, je peux plus, je veux plus, j’abandonne. Gilles va rendre mon tracker.
Ni noir, ni blanc, je rend hommage à JM notre Celtman 2015 mais surtout notre Norseman black-shirté en 2013, chapeau l’artiste. Il faut vivre cette course pour se rendre compte de la difficulté de l’exploit pour arriver tout en haut du Gaustattopen.
Cette course ne s’improvise pas, elle se mérite.
Le froid et le swimrun ( 3sem auparavant) ont eu raison de moi. J’ai sous estimé la course. J’ai sous estimé la tâche, c’est une belle leçon d’humilité.
Mes pensées vont également vers notre Bruno T qui, en 2012 a défié l’Embrunman 3sem après l’Alpes d’huez…il est d’accord avec moi, j’en suis sûr.
Il y aura d’autres courses, d’autres défis…le Norseman? Trop tôt pour le dire.
Je suis juste déçu. Triste et déçu!
Merci à tous, car je sais que beaucoup d’entre vous était derrière vos écrans à suivre ces foutus trackers. Je sais que vous y avez tous cru. Je suis également déçu pour vous, j’en suis désolé.
Vous m’avez tous manqué…
Mitch
La prochaine fois sera la bonne j’en suis certaine, parce que maintenant tu sais ce qui t’y attendra… juste le temps de digérer ta déception, d’analyser les futures stratégies à envisager, et de remonter le projet pour une prochaine édition !
Merci Virginie, c’est super gentil!